C’est Watson, la célèbre intelligence artificielle (IA) d’IBM qui a conçu la bande-annonce du film Morgan, sorti cette semaine sur les écrans. Une IA prénommée Benjamin s’est dite fortement influencée par la série X-Files pour rédiger le script d’un court-métrage de 8 minutes dans le cadre d’un concours de science-fiction. De nouveaux algorithmes sont effectivement capables de créer, à partir d’un corpus de références et d’influences alimenté par l’humain. Ils savent même reconnaître les codes d’un blockbuster. Sont-ils des artistes pour autant ? Les intelligences artificielles sont-elles dotées de créativité ?
Les IA appréhendent un univers artistique global à partir d’un corpus de références que l’humain lui fournit
« Qu’est-ce que cela signifie pour un ordinateur d’être créatif ? Peut-on juger de sa créativité ? Le hasard est une création. Où mettez-vous la limite entre la créativité aléatoire et quelque chose que les humains considèrent comme créatif ? », se questionnait déjà en 2015 David Cope, l’un des pères fondateurs de la musique créée par des algorithmes.
Un an plus tard, le débat reste ouvert alors même que les intelligences artificielles sont de plus en plus sollicitées à des fins artistiques. Des poèmes mièvres rédigés par l’algorithme de Google en passant par l’IA qui a réussi à passer un concours d’écriture au Japon (aidé tout de même par des écrivains humains), les systèmes informatiques d’aujourd’hui ont cette faculté d’appréhender un univers artistique global, à partir d’un corpus de références, pour en sortir le meilleur, tout du moins les éléments symboliques d’un genre.
L’IA Watson s’est saisi des codes de l’horreur pour créer la bande-annonce de Morgan
C’est en tout cas l’impression que nous donne la bande-annonce du nouveau film Morgan qui a été entièrement conçue par l’intelligence artificielle Watson d’IBM. Les chercheurs ont alimenté Watson d’une centaine d’extraits de films d’horreur, dont l’IA en a tiré la substance avant de visionner Morgan et d’en sélectionner 10 scènes pour composer sa bande-annonce. Notez que les chercheurs ont dû revoir la chronologie des plans sélectionnée, y ajouter des transitions ainsi que la bande sonore. Une seule scène proposée par Watson n’a pas été retenue par les scénaristes, faute de cohérence.
Le résultat est ici :
L’intelligence artificielle Benjamin rédige un script adapté sur écran
Il y a quelques mois, une autre intelligence artificielle prénommée Benjamin avait également fait parler d’elle en rédigeant le script d’un court-métrage de 8 minutes, mis sur les écrans et proposés au concours « 48 hour film challenge » dans le cadre du festival de science-fiction Sci-Fi London. Le personnage principal du film n’était autre que Thomas Middletich, génial héros de la série Silicon Valley.
Conçu par le chercheur en IA Ross Goodwin et par le réalisateur Oscar Sharp, Benjamin a donc été « formé » au métier de scénariste en ingurgitant des centaines de scripts au format texte.txt, de science-fiction essentiellement, mais aussi d’autres genres, et ce pour pouvoir appréhender le 7e art dans son ensemble.
L’algorithme s’est nourri de 2001 L’Odyssée de l’espace, Matrix, Jurassic Park, Alien, mais aussi Scary Moovie, Bodyguard, Armageddon ou encore la série X Files, qui – des dires des pères de Benjamin – a largement influencé son premier scénario puisque l’IA aurait régulièrement « pioché » des extraits de la série pour les placer dans son histoire.
Notez que Benjamin est un nouveau genre de réseau de neurones récurrents, appelé LSTM (pour « Long Short-Term Memory) ; un algorithme capable de créer des phrases inédites plutôt que de couper des morceaux de textes et de les recoller entre eux à partir d’un corpus existant, comme le ferait un algorithme « classique » de deep Learning.
L’aléatoire est-il une création artistique ?
C’est là qu’intervient la question de fond : « piocher » de manière aléatoire dans un corpus de références fait-elle de l’IA une entité créative ? Lorsque l’on regarde les résultats, on se rend compte qu’il y a effectivement énormément d’incohérences. Notre IA se « contente » de reprendre des scènes de films au hasard et n’est peut-être pas capable de distinguer l’irréel porté par le cinéma de genre de l’incohérence tout court. Malgré tout, le film a un début, un milieu, une fin, des interactions qui tiennent la route entre les différents personnages ; Benjamin a bel et bien rédigé un scénario ficelé en format texte, comprenant même les fameuses didascalies ; ces petites phrases descriptives comprises entre les dialogues, qui donnent le ton au personnage et qui décrivent leur gestuelle.
Benjamin a même « préféré » piocher dans les scènes de X-Files, faisant de la série sa principale référence du genre SF et donnant à l’IA une influence, comme tout créatif qui se respecte.
Le court-métrage est ici :
« Impossible Thing » ou l’IA qui sait faire au blockbuster
Si l’on arrive à éduquer une IA au film de genre, pourquoi ne pas l’utiliser pour des gros budgets ? En juillet dernier, le projet « Impossible Thing » a vu le jour sur Kickstarter. Une équipe de chercheurs souhaite réaliser un film du même nom, dont le scénario sera coécrit en partenariat avec une intelligence artificielle. Le programme en question, appelé Natural Language Processing, est capable lui aussi de rédiger des dialogues à partir d’un corpus de milliers de résumés de films, mais il a également bénéficié d’une initiation au concept de blockbuster. L’intelligence artificielle utilisée ici est capable de reconnaître les éléments clés qui fondent le succès d’un film et de les comparer à leur cote de popularité au box-office. De quoi nous concocter le blockbuster de l’année, sur le même mode que la série Stranger Thing proposée par Netflix qui reprend avec minutie les références cultes des années 80 (E.T. – Stand by me – Carrie – les Goonies …).
Au fond, si nous regardons ces courts-métrages et bandes-annonces sans nous douter qu’une IA est derrière tout ça, nous imaginons un scénariste complètement fou, à l’univers créatif sans bornes. Nous apprenons qu’il est une IA, que les scènes sont plus ou moins « aléatoires » et influencées par l’Homme : la question d’un véritable « art » se pose. Don de créativité ou simple mise en statistiques des codes du succès ? Et si, dans un futur pas si lointain, l’humain sera réduit à travailler aux seules fins d’alimenter les bases de données des IA – elles-mêmes chargées de produire l’art que nous admirerons ? Qui sera le réel créatif ?
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